Novelita

Le vivant dans tous ses émois

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Par Anne-Sophie Novel
28 mars · 5 mn à lire
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Écoutez cette histoire

Que l'on m'a racontée...

Bonjour ! Voici la huitième édition de Novelita, la lettre du vivant dans tous ses émois.

Vous avez peut-être découvert mes écrits à travers Le Monde ou ailleurs, via mes livres ou sur LinkedIn… et je suis heureuse de vous retrouver ici.

Novelita souhaite partager des histoires qui parlent de ce qui nous lie intimement, et de ce qui peut nous sauver au-delà des simples opinions ou indignations.

Il s’agit d’un espace libre. Aucune norme et aucun format définitif ne viennent encore la baliser. L’édition d’aujourd’hui ne fera pas exception à la règle, car j’avais envie de vous parler d’un guitariste “bifurqueur” dont j’ai entendu parler il y a peu grâce à mon parrain, Pierrick (merci parrain :)

Accords nomades

Le printemps est là, et malgré la pluie qui tombe abondamment par chez moi depuis ce matin, j’avais envie de vous emmener en balade avec un guitariste et son âne. C’est une histoire d’harmonie et d’accords avec soi et les autres. Une recherche d’authenticité et de simplicité comme on les aime. Une histoire qui devrait toutes et tous nous inviter à partir aussi en balade à pied sur les chemins de l’essentiel, en quête de ce qui nous rend d’autant plus vivant•es !

La scène se passe le 12 mai 2019, au-dessus des Alpes. Cyprien N’tsai, 24 ans, revient d’un concert qu’il a donné à Milan. Ce guitariste à la renommée mondiale contemple la beauté du paysage à travers le hublot quand il réalise que sa vie trépidante est à l’opposé de ses inspirations profondes. L’avion, qui devait être symbole de réussite et de fierté, fait douloureusement comprendre à ce marseillais d’origine qu’il emprunte un chemin carriériste dont le bilan lui apparaît, en cet instant précis, assez négatif. Il survole des montagnes et des forêts qu’il aimerait arpenter librement et comprend qu’il peut faire un choix de vie tout autre : être en accord avec sa nature profonde, conforme au Jedi auquel il s’identifiait petit, « pour rendre ce monde plus joli ».

Cette prise de conscience l'incite, en 2021, à entreprendre une tournée pédestre inédite en Provence, accompagné de Biloute, son ânesse. Pendant dix jours, le duo voyage de village en village, confirmant son désir d’adopter un mode de vie plus simple et authentique.

En 2022, il concrétise son projet avec « Balad’un âne », une série de 18 concerts donnés en trois semaines chez « qui veut », joué de manière intime et conviviale, au chapeau, devant une trentaine de personnes et suivis de repas partagé en mode auberge espagnole.

"La carrière locale est à portée de tout le monde, on a pas besoin d’être le premier ici" © DR"La carrière locale est à portée de tout le monde, on a pas besoin d’être le premier ici" © DR

Difficile, après ces tournées, de revenir à la vie d’avant : le besoin de cohérence et d’alignement lui font quitter Paris pour Banon, dans les Alpes-de-Haute-Provence, où il cultive une relation plus harmonieuse avec le temps et les autres vivants - avec lui-même, tout autant qu’avec les autres personnes qu’il est amené à rencontrer de la sorte, désormais.

« Partir avec un âne a ceci de particulier qu’on commence à s’imprégner de sa façon d’être et de se comporter », me livre-t-il, « il est moins dénaturé que l’humain, n’a pas le même langage, on se retrouve dans quelque chose de plus primaire, quand on marche à ses côtés ».

Cette simplicité qu’il retrouve à travers ce périple l’amène à revoir sa manière de « gagner sa vie », à s’affranchir des conventions et à questionner, y compris à travers ses spectacles, ce que réussir veut dire. Une démarche qui lui vient de sa plus tendre enfance où, à 7/8 ans déjà, il faisait ses premières manifs. « À 15 ans, je faisais les blocus au lycée pour la réforme des retraites de Fillon, cela a joué un rôle important dans mes décisions de vie. Je me suis alors mis à penser que je n’aurais pas de retraite, et quand j’ai eu le choix entre enseignant-chercheur en maths et musicien, je me suis dit qu’il n’y aurait que ce métier que j’accepterai de faire cela jusqu’à ma mort » Vient aussi 2018 et les gilets jaunes : « personne n’en parlait dans mon milieu, et pour cause : un silence volontaire permet de se tenir à distance des sujets polémique… Mais de ce chaos doit ressortir la lumière ! »

Aujourd’hui, son désir de contribuer à un monde plus juste s’accorde avec son choix de carrière alternatif. Il arrive à vivre de sa passion et enrichit sa vie de rencontres qu’il n’aurait pu faire autrement : « quand on croise d’autres personne qui ont aussi su renouer avec leur nature profonde, on a le même langage - on retrouve quelque chose de puissant, on ouvre une porte qui est naturellement là en nous - alignée, en harmonie avec le reste du vivant. C’est un langage qu’on retrouve partout ».

Pour Cyprien, évoquer le langage en tant que musicien revient à explorer les liens qui unissent l’infiniment grand et l’infiniment petit. « C’est résonner avec « ce grand tout » dont nous faisons partie, mais c'est aussi ressentir un amour profond, être épris », affirme-t-il avec prodondeur.

Aussi n’a-t-il jamais vécu son choix comme un renoncement : « j’ai eu peur, oui, car sacrifier une carrière internationale au nom de l’écologie, c’est renoncer à une ambition dans laquelle j’ai été éduquée. Mais ça s’est fait de manière très douce, réalisant que cela m’amènerait vers ma véritable essence et l'énergie vitale qui m'anime », reconnaît le musicien dont le père, bien que soutenant, aurait préféré qu’il « joue les agent doubles pour changer le système de l’intérieur »…. « Moi, j’avais peur de nourrir le système que je critiquais », me confie-t-il.

"Toute l’information de la nature est intégrée dans nos cellules, les réponses sont là" © DR"Toute l’information de la nature est intégrée dans nos cellules, les réponses sont là" © DR
Maintenant, il savoure la qualité des échanges avec son public : « le format de ces concerts locaux pour une trentaine de personnes permet de privilégier l'interaction, d'approfondir des thématiques et de partager des réflexions philosophiques, loin de la pression de la communication massive », ajoute-t-il, heureux et épanoui. « Les choses s’organisent d’elles-mêmes, comme une plante qui pousse et se multiplie », observe-t-il, s'enrichissant au fil de ses voyages de découverte, de paysage en paysage, de communauté en communauté, de colline en colline, tissant des liens humains et artistiques au plus près de la terre.

Après ses concerts, Cyprien a régulièrement la sensation d’œuvrer comme un médecin ou un guérisseur. « Le public est souvent curieux et heureux de ces moments partagés, beaucoup me disent que le concert les a revitalisés, comme s'ils avaient rechargé leurs batteries ! », me confie-t-il, illustrant l'impact profond de ses performances sur ses auditeurs. Il faut dire que Cyprien est un musicien philosophe tout autant qu’un poète. Capable d'engager des conversations captivantes durant des heures, il aime ponctuer ses discussions de maximes réfléchies telles que « Regarder de près, c'est voyager loin », « Plus on va vite, moins on a le temps » et « Le trajet est plus important que la destination », semant ainsi des graines de sagesse dans l'esprit de ses interlocuteurs.

Sa passion pour la philosophie de l'écologie se manifeste également dans sa révérence pour des penseurs tels qu'Aurélien Barrau et Bernard Friot, dont les idées sur la valeur du travail et l'importance de la durabilité résonnent profondément avec ses propres convictions. Ces échanges enrichissants reflètent son désir de contribuer à une prise de conscience collective, invitant son public à explorer des perspectives plus profondes sur la vie et notre interaction avec la planète.

Pour aller plus loin

La question du moment

L’histoire de Cyprien vous inspire ? Mais vous alors, qu’est-ce qui vous a fait (ou pourrait vous faire) changer ? Basculer ? À votre avis, qu’est-ce qui pourrait convaincre d’autres personnes de changer et d’oser ?

Coup de pousse

Plusieurs choses à vous partager en ce début de printemps :

  • Le documentaire Sainte-Soline, autopsie d’un carnage, de Reporterre et Off Investigation revient sur la manifestation autour des méga-bassines. De quoi documenter le déroulement des faits et garder un récit historique de ce qui s’est passé ce jour-là pour les militant•es.

  • Le documentaire Toxic Bodies, de Camille Etienne et Solal Moisan, au sujet des polluants éternels. Dans lequel j’ai entendu parler pour la première fois de la notion de “crime industriel facilité par l’État” (via la journaliste du Monde Stéphane Horel)

  • L’émission de Swann Pérrissé avec la fondatrice de Bloom, Claire Nouvian, dans laquelle j’ai appris l’existence de marées verticales, la nuit, dans l’Océan. Bloom lance d’ailleurs cette semaine une Coalition pour l’Océan à laquelle je m’associe personnellement. Alors que 2024 est désignée “Année de la mer” par le Président, et que la France accueillera à Nice en juin 2025, le sommet international de l’ONU sur l’océan, nous devons absolument pousser la France à montrer l’exemple et mettre en place des mesures de protection à la hauteur des enjeux climatiques. Voilà les 15 points essentiels sur lesquels insister pour l’ONG :

  • Mes lectures du moment ? Il y en a des tonnes mais je ne vous en partage qu’une : cet excellent papier de Stéphane Foucart sur la sainte croyance dans le marché.

  • A écouter : « Nous Sommes Forêt », un nouveau podcast imaginé par l'auteur et journaliste scientifique Charles-Maxence Layet, et Almaz Vaglio, artiste sonore, soutenus par l'association d'intérêt général Forêt Citoyenne présidée par l'écrivain photographe Bernard Boisson. Ambition : donner la parole aux gardiens et boucliers humains des arbres et des forêts vivantes.

  • A suivre : la mission protection lancée par la Fédération Connaître et Protéger la Nature, dont je suis la marraine. L’idée de cette campagne de trois ans est de former un maximum de protecteurs.trices de la nature. Il y en a pour tout le monde : petits et grands, initiés et novices, téméraires et plus frileux… Que vous soyez rat des villes ou rat des pâquerettes !… Pour chaque défi relevé, engrangez tout un tas de graines et franchissez ainsi les quatre paliers de la protection de la nature. Parce qu’on ne naît pas protecteur de la nature, on le devient… Mais pas du jour au lendemain !

Petit agenda personnel

  • Ce 28 jeudi mars à Bordeaux, sur le campus de la Victoire, j’ai le plaisir de participer à cette conférence organisée autour de la question de l’engagement dans le cadre de la première édition du Festival Bascule. Je serai en compagnie de Camille Etienne et Jérôme Santolini notamment.

  • Le dimanche 7 avril, je serai à l’Happy Grièche Festival, en Auvergne, si jamais vous êtes dans le coin !

PS : un titre, ça fait parfois tout. Mais plutôt que de systématiquement chercher à “capter” votre attention, j’ai décidé que les titres et sous-titres annonçant chaque édition de Novelita seraient tirés d’une chanson - une chanson en lien avec le sujet, œuf corse ! Si vous avez la réponse, n’hésitez pas à me la partager, ça nous donnera l’occasion de papoter :)

PS 2 : Bravo à Stéphane, qui a bien identifié Grand Corps Malade dans la dernière édition consacrée aux écologies décoloniales… Une édition qui vous a beaucoup plu, à en croire vos petits messages, mais qui s’est aussi souvent retrouvée dans les spams, donc pensez bien à autoriser mon adresse !

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