J'ai fait le monde, à ma façon (coulé dans l'or et le béton)

Chercher à mettre du jeu plutôt que de rester maître du jeu, voilà ce que je nous souhaite pour 2025...

Novelita
7 min ⋅ 29/12/2024

Bonjour ! Voici la douzième édition de Novelita, la lettre du vivant dans tous ses émois. Bienvenue à toutes les personnes qui se sont abonnées depuis le dernier envoi (en mai… sorry sorry) !

Vous avez peut-être découvert mes écrits à travers Le Monde ou ailleurs, via mes livres ou sur LinkedIn… et je suis heureuse de vous retrouver ici.

Novelita souhaite partager des histoires qui parlent de ce qui nous lie intimement, et de ce qui peut nous sauver au-delà des simples opinions ou indignations.

Il s’agit d’un espace libre. Aucune norme et aucun format définitif ne viennent encore la baliser…

Mettre du jeu

J’ai laissé passer l’été. Sidérée, comme beaucoup, les yeux rivés sur l’horizon. Puis l’automne est arrivé. C’était là, une bonne raison. Mais il a filé au gré des feuilles, s’éparpillant au vent. Les grues sont passées. Dans nos petits tas de bois, les salamandres se sont cachées. J’ai attendu. Trop de choses sur le feu. Besoin de souffler. Puis les bougies de l’hiver se sont allumées… Le temps était revenu.

La scène a lieu en avril 2023, dans un coin reculé de Nouvelle-Aquitaine. Le temps d’un week-end. Une ferme paysanne. Un lieu resté secret. Les enfants déposés, nous avons rejoint une petite centaine de naturalistes. Je sors de L’Enquête sauvage. Leur initiative me parle, elle me semble nécessaire. Les esprits sont encore marqués par ce qui est arrivé à Sainte-Soline.

Non loin de nous, à ciel ouvert, un cercle de parole. On panse les plaies. Le traumatisme est grand. Ils grondent, les soulèvements.

A l’entrée du lieu, deux grandes feuilles vierges sont accrochées au mur. Au fil de la journée, elles s’enrichissent des noms d’oiseaux, d’insectes et de toute autre bestiole croisée dans le coin. Un inventaire participatif, un style d’attention, un regard sur l’autre vivant. Voir cette liste s’allonger au fil de la journée me rassure. Les naturalistes possèdent ce don d’élargir les fenêtres de notre perception. Leurs observations relient à d’autres vies que la nôtre, ici et maintenant.

La vie, partout.

Dans la grange, ça bruisse, ça piaille, ça papote et ça couine. L’assemblée des
naturalistes des terres ainsi réunie pour la première fois explore des pistes pour tisser des alliances, pour penser la diplomatie du vivant. Comment le regard naturaliste peut-il enrichir le répertoire d’actions pour le vivant ? Comment une espèce peut-elle devenir l’étendard d’une lutte ? Et à quelles échelles se font les alliances ?

Réhydrater la terre

C’est alors que surgit, dans les échanges, une figure inattendue : le castor. Cet ingénieur naturel des écosystèmes aquatiques est un animal ressource cité par le GIEC pour son rôle dans la lutte contre le changement climatique. Il devient le centre de notre attention, et pour cause : il est la nouvelle mascotte d’un des philosophes du vivant les plus en vogue du moment, le bien nommé Baptiste Morizot.

Délaissant la figure du loup qu’il a si bien explorée dans
Les diplomates, il est venu accompagné de celle qui l’a mis sur cette piste : Suzanne Husky. Cette artiste franco-américaine de talent, fascinée par le mode de vie de cet animal, a fait plonger le chercheur dans le temps profond des rivières. Depuis des mois ; ils planchent sur « une histoire géopolitique illustrée des alliances entre humains et castors ». Il et elle nous partagent, ce matin-là, une partie de leurs réflexions.

Je bois littéralement leurs paroles : l’été 2022 a été caniculaire, la sécheresse inédite, la France a soif et leurs travaux montrent comment réhydrater la terre.

Réhydrater la terre. Cette expression me touche comme jamais, tant elle porte cette notion de soin si nécessaire pour apprendre à vivre dans une époque asséchée.

Un faiseur de monde

Leur récit commence il y a huit millions d’années, quand le castor se met à façonner les paysages, créant et modifiant des habitats qui influencent le flux des rivières. Leurs ouvrages (qualifiés de barrages par les humain·es) permettent la formation de marais, de zones humides, et d’autres environnements vitaux pour une multitude d’espèces. Ils créent des conditions d’habitabilité, enrichissant la biodiversité et les interactions écologiques. Cet animal est un « faiseur de monde ».

Historiquement, pas moins de 16 % des milieux naturels auraient été influencés par les castors. Mais notre modernité aménagiste depuis l’Holocène a eu des effets dévastateurs. Rien qu’en France, par exemple, 90 % des rivières ont été transformées : l’ère du drainage, au XXe siècle, a réduit la rétention naturelle de l’eau et accéléré son flux vers l’océan.

Résultat ? Des rivières qui ne réhydratent plus les sols, et des environnements plus vulnérables. « En tuant Bièvre, on a tué la rivière », résume Baptiste.

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Novelita

Par Anne-Sophie Novel

Née à Nantes, j’ai grandi en Bourgogne avant d’atterrir à Bordeaux au début des années 1990. Issue d’une famille de classe moyenne, j’ai eu la chance de faire de longues études. Titulaire d’un doctorat en sciences-économiques, j’ai décidé de bifurquer en 2009 pour me consacrer à la médiatisation des enjeux écologiques. J’ai travaillé et travaille encore pour de nombreuses rédactions de presse écrite et pour plusieurs écoles de journalisme. Je suis également autrice et réalisatrice. Pour en savoir plus, rendez-vous ici.